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Le mot "barbare", dans l’imaginaire collectif, évoque le sauvage, l’étranger, l'inculte. Mais à y regarder de plus près, ce qualificatif a presque toujours été utilisé par les puissants pour désigner ceux qui leur résistaient. L’histoire regorge d’exemples où les civilisations dominantes, lancées dans des entreprises de prédation, de conquêtes ou d’expéditions punitives, ont retourné le stigmate : c’est l’agressé qui devient "barbare" aux yeux de l’agresseur. Ce glissement sémantique permet de justifier l'injustifiable et de donner un vernis de légitimité à la violence impériale.

De l’Antiquité à nos jours, des Grecs aux Romains, des Arabes aux Turcs, jusqu’à l’Occident moderne, les grandes puissances ont toutes, à un moment donné, endossé le rôle du "barbare véritable", celui qui impose, qui prend, qui punit — tout en désignant comme barbare celui qui refuse de plier.

1. Les Grecs : soumettre pour civiliser

Dans la Grèce antique, le mot "barbare" (βάρβαρος) désignait avant tout celui qui ne parlait pas grec. C’était l’étranger, incompréhensible, souvent méprisé. Mais cette distinction linguistique s’est rapidement muée en justification politique. Les Perses, par exemple, furent qualifiés de barbares afin de légitimer les guerres dites "médiques". Pourtant, ces mêmes Grecs pratiquaient l’esclavage, la colonisation et les guerres entre cités avec une violence extrême.

Le paradoxe est saisissant : ceux qui ont posé les bases de la philosophie, de la démocratie et des arts sont aussi ceux qui ont inauguré un usage idéologique du mot "barbare", servant à masquer leurs propres exactions derrière une prétendue mission civilisatrice.

2. Les Romains : l’ordre par l’épée

L’Empire romain a perfectionné l’art de la domination sous couvert de paix : la fameuse Pax Romana. Dans cette vision impériale, les peuples refusant l’assimilation à la culture et au droit romains étaient qualifiés de barbares. Celtes, Gaulois, Germains, Parthes... tous furent diabolisés pour justifier les conquêtes. Pourtant, les "barbares" ont souvent été plus respectueux des traditions locales que les Romains eux-mêmes.

Le raffinement des institutions romaines, leur droit, leur architecture, ne doivent pas faire oublier la brutalité de leur expansion. L’ordre romain était imposé par l’épée, et le droit romain servait souvent à couvrir l’injustice faite aux peuples conquis.

3. Les Arabes : la conquête sous bannière divine

À partir du VIIe siècle, les armées arabes s’élancent dans une série de conquêtes fulgurantes, de l’Andalousie à l’Inde. Cette expansion est justifiée par une mission religieuse : étendre l’islam, apporter la "vérité" aux peuples "ignorants". Là encore, la rhétorique est la même : les récalcitrants sont considérés comme des infidèles, des ennemis de Dieu, donc des barbares.

Bien que cette civilisation ait été à l’origine de grandes avancées scientifiques, culturelles et philosophiques, l’unification sous l’étendard religieux s’est souvent faite par la guerre, par la domination et par l’écrasement de résistances locales qualifiées d’impies ou de barbares.

4. Les Turcs : empire et effacement

Les empires turcs, en particulier l’Empire ottoman, ont étendu leur influence sur une grande partie de l’Asie, de l’Europe de l’Est et du monde arabe. Au fil de cette expansion, les populations locales furent absorbées, les élites remplacées, les langues marginalisées. La domination ottomane s’est souvent appuyée sur une justification religieuse, mais aussi sur une supériorité impériale.

Là encore, ceux qui refusaient cette domination étaient traités en ennemis de l’ordre, donc comme des barbares. Le paradoxe est saisissant : les Turcs, longtemps considérés comme barbares par l’Europe chrétienne, ont à leur tour qualifié de barbares ceux qui leur résistaient.

5. L’Occident moderne : le barbare, c’est l’Autre

Depuis cinq siècles, l’Occident s’est engagé dans une entreprise de conquête globale. Colonisation, traites négrières, pillages, imposition de régimes politiques et économiques : la domination occidentale a été mondiale. Et toujours, la même rhétorique : civiliser, libérer, éduquer.

Les peuples d’Afrique, d’Asie, des Amériques ont été traités comme des barbares à évangéliser, des peuples immatures à prendre en main. Le comble ? Lorsqu’ils osent se révolter, se libérer, résister — ils sont alors à nouveau qualifiés de barbares, de terroristes, de fanatiques.

Aujourd’hui encore, cette logique perdure. Que ce soit dans les guerres dites "préventives", les interventions militaires sous prétexte de droits de l’homme, ou le mépris médiatique à l’égard des résistances culturelles ou politiques du Sud global, l’Occident continue d’agir selon la logique du barbare... tout en pointant du doigt les autres.

Conclusion

L’histoire des civilisations dominantes montre que le vrai barbare n’est pas celui que l’on désigne, mais celui qui impose, qui méprise, qui détruit en prétendant sauver. À chaque époque, les puissants ont utilisé le mot "barbare" comme une arme idéologique, pour disqualifier l’autre, légitimer leur violence, et blanchir leurs mains tachées de conquête.

Mais l’histoire a de la mémoire. Et si les rôles finissent toujours par s’inverser, la question demeure : qui est vraiment le barbare ? Celui qui résiste ou celui qui envahit ?

Tag(s) : #Histoire, #Occident, #Politique
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